Laboratoire

Comprendre l’adn environnemental

fév. 1 2019

Qu’est-ce que l’ADN environnemental ?

L’ADN environnemental, ou ADNe, désigne le matériel génétique (ADN nucléaire, mitochondrial et chloroplastique) relâché par un organisme dans son environnement sous forme de cellules mortes de la peau, de cellules végétales, de poils, d’excréments, d’urine, de salive, de mucus, de gamètes, etc. Ce matériel génétique peut être prélevé dans l’environnement par échantillonnage de l’eau, des sédiments, du sol ou de l’air. Ces échantillons sont ensuite soumis à une isolation d’ADN et testés pour déterminer la présence de l’espèce cible, sans qu’il soit nécessaire d’observer directement l’organisme.

Les analyses d’ADNe sont rendues possibles par le fait que les organismes laissent des traces de leur ADN dans l’environnement qu’ils occupent. L’ADN, cependant, ne persiste que pendant une durée déterminée. L’analyse des échantillons permet donc de déterminer si l’espèce se trouve ou s’est récemment trouvée à un endroit précis. Il s’agit des mêmes procédés que ceux utilisés par les biologistes judiciaires lorsqu’ils ou elles analysent l’ADN trouvé sur les scènes de crime.

L’ADNe est une technique particulièrement avantageuse pour les espèces aquatiques et semi-aquatiques. L’ADN relâché par ces dernières dans le milieu est transporté loin de la source, améliorant ainsi la capacité de détecter l’espèce cible.

Il y a un peu plus d’une décennie maintenant, en 2008, Ficetola et coll. [1] publiaient la première étude d’ADNe. Leur objectif était de détecter la présence d’une espèce envahissante en France, le ouaouaron d’Amérique, grâce à l’analyse d’échantillons d’eau douce prélevés dans des milieux humides. Et depuis la publication du premier rapport sur l’utilisation de l’ADNe, il y a eu une augmentation spectaculaire d’études scientifiques sur le sujet, et des centaines d’articles évalués par les pairs sont publiés chaque année. La quantité d’espèces qui peuvent être détectées grâce aux méthodes d’analyse de l’ADNe continue donc d’augmenter. Nous en savons aussi davantage sur la persistance et la dispersion de l’ADNe dans l’environnement ; les meilleures pratiques en matière d’échantillonnage et de conservation de l’ADNe ; les exigences en matière de conception de méthodes d’analyse de laboratoire ; et les effets du nombre de réplicats testés sur un échantillon sur la confiance statistique des résultats.

Pourquoi analyser l’ADN ?

Les relevés de biodiversité écologique et ceux propres à une espèce sont utilisés pour appuyer des évaluations environnementales à diverses fins, notamment pour la gestion et l’extraction des ressources ; les projets de développement commercial, industriel et résidentiel ; les efforts de conservation ; le succès de la reprise de l’habitat restauré par les espèces souhaitées ; et la surveillance de la présence précoce d’espèces envahissantes.

Lorsque l’abondance de l’espèce cible ou la capacité de la détecter dans un environnement est élevée, les méthodes conventionnelles d’observation visuelle et sonore, de piégeage, de pêche électrique, de pêche au filet, etc. sont souvent plus appropriées, en plus d’être moins onéreuses. Cependant, lorsque les espèces sont cryptiques ou que l’abondance d’une espèce cible est faible, il faut beaucoup de temps et d’efforts pour les détecter au moyen des méthodes traditionnelles de relevé. C’est notamment le cas des espèces en voie de disparition ou de celles qui sont aux premiers stades de devenir envahissantes. Les méthodes d’enquête conventionnelles ne permettent aussi pas toujours de détecter les espèces cibles en faible quantité considérant l’étendue parfois vaste de l’environnement à étudier.

Les avantages que présente l’ADNe par rapport aux méthodes plus conventionnelles sont nombreux, surtout lorsque le milieu d’échantillonnage est mobile. Notamment :

  • L’ADNe peut être échantillonné dans les systèmes aquatiques à une grande distance de l’organisme individuel.
  • L’ADNe est une technologie plus sensible qui permet de mieux détecter les espèces cryptiques et rares et il présente un taux de succès plus élevé que les méthodes traditionnelles [2], en plus de permettre des économies de temps et d’argent.
  • L’ADNe permet de cibler avec plus de précision et de fiabilité les espèces d’intérêt et les résultats ne dépendent pas de leur repérage sur le terrain par un analyste qualifié ou une analyste qualifiée.
  • L’échantillonnage de l’ADNe dans l’environnement peut être réalisé sans permis ou sans autorisation, contrairement aux méthodes traditionnelles qui nécessitent le piégeage ou la manipulation d’espèces en danger.
  • Puisque l’analyse de l’ADNe ne requiert pas que les espèces d’intérêt soient observées directement, les périodes possibles d’échantillonnage sont plus étendues et le personnel sur le terrain peut donc travailler dans des conditions plus sûres. Il est par exemple possible de le faire pendant les heures de clarté, même pour les espèces nocturnes qui demandent généralement à être étudiées lors de leur période d’activité, soit à la noirceur.
  • L’ADNe peut être échantillonné sans que l’habitat des espèces ou les organismes même soient touchés ; il n’est en effet plus nécessaire de mener des interventions intrusives comme le piégeage, la pêche à l’électricité, la pêche au filet ou même la recherche extensive de l’habitat. Le risque de transfert de pathogène est ainsi aussi diminué.

Comment les analyses d’ADN environnemental en laboratoire sont-elles réalisées ?

Il existe plusieurs méthodes d’analyse de l’ADNe. La plupart sont conçues pour détecter une seule espèce cible à l’aide de réactions en chaîne par polymérase quantitative (RCPq), aussi appelée RCP en temps réel. Les RCPq permettent une analyse précise et à haute sensibilité de l’ADN, même lorsque de dernier est en faibles quantités. Les répétitions de cycles de RCP (jusqu’à 50) réalisés génèrent de façon exponentielle de nombreuses copies d’ADN cible, habituellement une courte séquence unique à l’organisme. Les copies d’ADN générées sont visualisées par un instrument de laboratoire qui détecte un colorant fluorescent libéré par une sonde. Cette dernière lie avec précision l’ADN cible et permet donc de confirmer que l’espèce étudiée est détectée.

La technologie des RCP quantitatives existe depuis 25 ans. Il s’agit d’une modification de la RCP commune, une découverte faite en 1983 par Kary Mullis qui lui a valu de recevoir le prix Nobel de chimie en 1993. La technologie derrière les RCPq est à la fois fiable et rapide et elle est utilisée dans une vaste gamme d’analyses sur lesquelles nous comptons au quotidien. Elle permet de détecter les maladies infectieuses, les anomalies génétiques héréditaires, les bactéries pathogènes nuisibles dans les produits alimentaires, les cultures génétiquement modifiées et de mesurer la qualité de l’eau.

Les limites des analyses d’ADN environnemental

Contrairement à ce que l’adjectif « quantitatives » laisse penser, les RCPq appliquées aux échantillons d’ADNe peuvent seulement signaler si l’ADN de l’espèce cible a été « détecté » ou « non détecté » dans l’échantillon testé. Prenons par exemple le scénario suivant : des échantillons d’eau sont prélevés dans l’environnement et ensuite filtrés et analysés pour détecter la présence d’ADNe d’un amphibien rare. Une grande quantité d’ADN dans l’un de ces échantillons peut signifier qu’il y a présence d’un grand nombre d’individus de l’espèce cible ou tout simplement que l’échantillon a été prélevé à proximité d’un seul individu. Dans ce dernier cas, la forte présence d’ADN dans l’échantillon est le résultat de la proximité et non de la quantité.

La situation est encore compliquée par le fait que l’espèce relâche de l’ADN dans l’environnement à des rythmes différents au cours des étapes de son cycle de vie. De plus, l’ADNe persiste dans l’environnement pendant une période plus ou moins longue selon les conditions propres à l’environnement en question, comme la température, l’activité microbienne et l’exposition aux rayons ultraviolets. Ces éléments peuvent tous contribuer à détruire l’ADN au point qu’il n’est plus d’une qualité suffisante pour la détection par RCPq. Dans les milieux aquatiques, l’ADNe commence à se dégrader dans les heures suivant sa libération par l’organisme et peut être détecté de façon fiable par un test d’ADNe en moyenne de 7 à 21 jours [3] après sa libération. L’ADNe fournit ainsi une image récente de la présence d’une espèce dans un environnement.

L’ADNe relâché n’indique pas non plus si l’organisme source individuel est vivant ou mort  et ne donne aucune indication sur l’âge, la grosseur, le sexe ou l’état reproducteur de l’organisme.

Ces limites propres aux analyses d’ADNe ne doivent pas être source de découragement ou une raison pour rejeter son utilisation. On doit au contraire se concentrer sur les nombreux avantages qu’offre l’ADNe comme outil scientifique moins dispendieux et plus rapide, particulièrement utile pour des études plus sensibles et précises des espèces. 

Références

[1] Ficetola, G.F.; Miaud, C. ; Pompanon, F.; Taberlet, P. 2008. Species detection using environmental DNA from water samples. Biology Letters, 4: , pp. 423–425.

[2] Jerde, C.L.; Mahon, A.R.; Chadderton, W.L.; Lodge, D.M. 2011. « Sight-unseen » detection of rare aquatic species using environmental DNA. Conservation Letters, 00, pp.1–8.

[3] Dejean, T.; Valentini, A. ; Duparc, A. ; Pellier-Cuit, S. ; Pompanon, F. ; Taberlet, P.; Miaud, C. 2011. Persistence of Environmental DNA in Freshwater Ecosystems. PLoS ONE,  6 : 8, pp. 1-4.