Laboratoire

Avoir confiance en votre analyse d’ADN environnemental

jan. 17 2023

Pour faire l’objet d’une approbation réglementaire, la technologie de l’ADN environnemental (ADNe) doit donner des résultats à la fois fiables et défendables. Pour ce faire, on doit assurer la bonne réalisation de toutes les étapes : échantillonnage, manipulation des échantillons, conception des analyses et validation.

L’ADNe est utilisé partout dans le monde dans plusieurs domaines et selon plusieurs approches de laboratoire. Bien qu’il n’existe pas encore de normes pour l’échantillonnage et l’analyse d’ADNe, suivre les lignes directrices et les meilleures pratiques connues permet d’assurer la réussite des analyses et la précision et la fiabilité de leurs résultats.

Tout commence sur le terrain

Une analyse réussie d’ADNe commence avec un plan d’enquête qui s’appuie sur des objectifs clairs, combinés aux connaissances sur le cycle biologique des espèces cibles et l’utilisation de leur d’habitat.

L’ADNe ne se répand pas uniformément dans l’environnement. Les éléments suivants doivent donc être pris en considération lors de la conception du plan :

  • Les préférences d’habitat
  • Le temps de l’année pendant lequel une espèce occupe une aire géographique particulière
  • Le moment pendant lequel l’espèce est la plus active
  • Le stade du cycle de vie lors duquel l’espèce relâche le plus d’ADN dans son environnement

Un échantillonnage au hasard dans l’environnement qui ne prend pas en compte ces éléments est peu susceptible de fournir des résultats significatifs et fiables sur l’ADNe.

Hobbs et Goldberg[1] donnent un aperçu des éléments à prendre en compte lors de l’échantillonnage de l’ADNe dans leur Environmental DNA Protocol for Freshwater Aquatic Ecosystems (un protocole sur l’ADN environnemental pour les écosystèmes aquatiques d’eau douce), écrit en 2017 pour le ministère de l’Environnement de la Colombie-Britannique. Dans ce document, ils s’appuient sur les résultats de publications scientifiques et leurs propres recherches pour formuler des recommandations sur les meilleures pratiques en matière de conception d’un plan d’enquête, d’échantillonnage de l’eau et de filtration.

Où et quand échantillonner

Le cycle biologique des espèces cibles et leurs préférences en matière d’habitat déterminent l’emplacement et le moment de l’échantillonnage d’ADNe sur le terrain. Ce dernier doit coïncider avec la période active des espèces cibles, lorsqu’elles relâchent le plus d’ADN dans l’environnement. Dans la majorité des cas, il s’agit de la période de reproduction.

Les objectifs précis définis dans le plan permettent de déterminer la couverture géographique requise et la quantité d’échantillons nécessaire. Les eaux stagnantes ne transportent pas d’ADNe loin de sa source, alors que l’eau mouvante le déplace rapidement et loin. Pour améliorer la probabilité de détection des espèces cibles, il est aussi primordial d’échantillonner leurs microhabitats préférés.

Augmenter la quantité d’échantillons prélevés à chaque site permet d’améliorer les chances de retrouver l’ADNe des espèces cibles. À partir d’un échantillon de 1 litre, on peut créer trois réplicats d’eau, soit la quantité recommandée pour les aires géographiques dans lesquelles la distribution des espèces cibles est inconnue [1]. Un plan d’échantillonnage qui s’étend sur plusieurs saisons et années permet de récolter plus d’information sur l’occupation des espèces cibles de l’aire géographique en question et améliore ainsi les possibilités de détection.

Les échantillons d’eau doivent être prélevés près de la surface pour éviter que des sédiments ou des débris se retrouvent dans le filtre. Leur présence est souvent une cause de ralentissement de la filtration ou elle empêche même parfois de filtrer tout le volume de l’échantillon, réduisant ainsi par le même coup la quantité d’ADNe récolté et la capacité du laboratoire de détecter les espèces cibles. Cliquez ici pour connaître les méthodes de prélèvement, de filtration et de conservation des échantillons d’eau.

Les bonnes pratiques sur le terrain

Il est primordial d’avoir les bonnes pratiques sur le terrain pour éviter la contamination ou les effets résiduels (sur les chaussures, les bottes-pantalons, les coques de bateaux, les fournitures d’échantillonnage réutilisées, etc.) qui peuvent entraîner de faux positifs. Le matériel d’échantillonnage nettoyé avec de l’eau de Javel doit être rincé avec de l’eau avant d’être utilisé pour garantir qu’il n’y a plus aucune trace de javellisant. Sinon, les risques de faux négatifs augmentent considérablement puisque le javellisant peut potentiellement détruire l’ADN présent dans l’échantillon.

Les échantillons témoins négatifs doivent être intégrés aux différentes étapes sur le terrain et lors de la filtration pour qu’il soit possible d’évaluer la contamination potentielle responsable de faux négatifs. Un témoin négatif est un échantillon propre d’eau ultra pure apporté sur le terrain et filtré au même moment et au même endroit que les échantillons prélevés sur le terrain.

Conception d’une bonne méthode d’essai en laboratoire pour l’ADNe

La méthode élaborée par le laboratoire doit être bien conçue et validée pour garantir la qualité des résultats d’analyse d’ADNe. L’ADN des espèces cibles est général présent en faibles concentrations dans l’environnement et à différents degrés de dégradation dans les échantillons prélevés. Un plan d’étude solide, sensible et précis est nécessaire pour réussir à détecter les faibles concentrations de l’ADN des espèces cibles.

Les plans d’analyse de l’ADNe sont généralement conçus de manière à cibler soit l’ADN mitochondrial (ADNmt) chez les animaux ou l’ADN chloroplastique (ADNct) chez les plantes et les algues. On améliore ainsi les chances de prélever et de détecter les espèces cibles puisqu’il existe plusieurs copies de l’ADNmt et de l’ADNct dans chaque cellule, contrairement à l’ADN nucléaire, présente en un seule copie.

L’élaboration d’une méthode d’essai de l’ADNe se fait en trois étapes [2].

Étape 1 : In Silico

Cette étape consiste à concevoir des amorces et des sondes de réactions en chaîne de polymérase quantitatives (RCP quantitatives ou RCPq) à l’aide d’un logiciel de bioinformatique et à évaluer la spécificité de l’espèce cible par interrogation de toutes les séquences d’ADN connues et disponibles dans la base de données publique.

Étape 2 : In Vitro

Il s’agit ici de la mise à l’épreuve de la méthode sur un échantillon d’ADN de haute qualité prélevé sur des espèces cibles connues. La spécificité est établie par une analyse comparative avec l’ADN d’espèces apparentées et d’humains. La sensibilité est établie par une série de dilution de l’ADN.

Étape 3 : In Situ

Lors de cette dernière étape, la méthode est mise à l’épreuve avec des échantillons prélevés sur le terrain de sites connus positifs et négatifs pour démontrer son efficacité sur des vrais échantillons de terrain. Il s’agit d’une étape importante puisqu’elle permet de garantir que la méthode répond aux objectifs.

Procédé de contrôle des essais de laboratoire

Le plan d’étude du laboratoire doit comprendre les bons témoins, lesquels permettent de détecter les erreurs de type 1 (faux positifs) et de type 2 (faux négatifs).

  1. Vérifier l’intégrité de l’ADN prélevé. Sa qualité doit être assez élevée pour qu’il soit possible de contrôle les faux négatifs. Sans cela, il est impossible de savoir si un résultat d’ADN négatif est dû à l’absence de l’espèce cible, à l’inhibition du test ou simplement à la mauvaise qualité de l’ADN. Bureau Veritas a fait homologuer un protocole développé par Dr. Caren Helbing et breveté par la University od Victoria pour évaluer la qualité de l’ADNe à l’aide de l’ADNct [3].
  2. Vérifier la performance du test. Pour ce faire, ajouter un témoin positif pour tester la performance et la fiabilité de l’analyse.
  3. Vérifier la présence de contamination. L’ajout d’un témoin négatif (blanc) aux étapes de l’extraction de l’ADNe et des RCPq permet de confirmer qu’il n’y a pas eu de contamination de l’ADN cible et de contrôler les faux positifs.

L’ADNe dans les réplicats

Il est primordial d’analyser une quantité suffisante de réplicats techniques pour chaque échantillon d’ADNe pour obtenir la bonne probabilité de détection. L’analyse est poussée à ses limites pour détecter l’ADN en très faibles concentrations dans les échantillons environnementaux. Par conséquent, il est possible que des réplicats de RCPq individuelles ne parviennent pas à générer un signal, ou qu’il y ait une génération stochastique d’un signal qui n’est pas fiable. Il est recommandé de tester huit réplicats techniques de chaque échantillon de l’ADNe afin de réduire l’erreur binomiale et d’obtenir une confiance statistique suffisante pour garantir la fiabilité des résultats [2], [4].

Interprétation des résultats d’ADNe

Tous les échantillons et tous les réplicats sont pris en considération lors de l’interprétation des résultats d’analyse d’ADNe et il est ensuite possible d’affirmer que l’ADN des espèces cibles a été « détecté » ou « non détecté ». Étant donné que des réplicats techniques individuels peuvent ou non générer un signal, on doit éviter d’utiliser le résultat d’un seule réplicat isolé pour affirmer la présence de l’organisme cible.

Au moment d’interpréter les résultats, pour détecter la présence d’espèces, il est recommandé d’examiner d’autres facteurs, notamment la sensibilité du test, les taux de relâchement prévus d’ADN et les conditions environnementales au moment de l’échantillonnage.    

Références

[1] Hobbs, J. et C. Goldberg. 2017, Environmental DNA Protocol for Freshwater Aquatic Ecosystems (version 2.2), préparé pour : le ministère de l’Environnement de la Colombie-Britannique.

[2] Herder, J.; Valentin, A,; Bellamain, E.; Dejean, T.; van Delft,J.J.C.W.; Thomsen, P.F.; et Taberlet, P, 2014, Environmental DNA: a review of the possible applications for the detection of (invasive) species Nijmegen: Netherlands Food and Consumer Product Safety Authority.

[3] Veldhoen, N.; Hobbs, J.; Ikonomou, G.; Hii, M.; Lesperance, M.; et Helbing, C.C., 2016, Implementation of Novel Design Features for qPCR-Based eDNA Assessment. PLoS ONE, 11 : 11, pp. 23.

[4] Helbing C.C., J. Hobbs, J.M. Round, M.J. Allison, Expansion of the known distribution of the coastal tailed frog, Ascaphus truei, in British Columbia, Canada, using robust eDNA detection methods, PLOS ONE, 2019, vol. 14(3), p. 1-23.